Théodore le lapin violet

Théodore le lapin violet

Dans l’Oultre Monde, le printemps avait fait son apparition et, avec lui, les préparatifs pour la grande fête de Pâques.

Le vieux hérisson, en véritable maître de cérémonie, avait décoré son jardin avec des fleurs sauvages aux couleurs éclatantes, tandis que Madame Chouette, perchée dans son arbre séculaire, préparait des guirlandes faites de branches tressées et de perles de rosée. Le lièvre grisonnant, fidèle à son habitude, ajustait son manteau vert tendre, prêt à livrer des œufs à tous ceux qui croisaient son chemin.

Au creux du Vallon, bordé de noisetiers de fleurs et de clochettes sauvages, vivait une famille de petits lapins aux pelages aussi doux que la brume d’avril, d’un blanc tacheté de beige, comme des œufs en sucre nichés dans l’herbe tendre et brillant au soleil. Tous sauf un, le dernier-né de la portée.

Un minuscule museau frémissant et des yeux grands ouverts sur le monde, il avait le poil étrangement teinté d’une douce nuance de violet.
Violet comme les crocus qui s’ouvrent sous la rosée.
Violet comme les crèmes aux myrtilles que Maman Lapin préparait pour les fêtes de printemps. Il s’appelait Théodore !

Et Théodore vivait heureux, ou presque. Il aimait les thés de fleurs cueillis par Papa Lapin, les gâteaux préparés par Maman Lapin, les longues siestes de midi où ses huit frères et sœurs s’étendaient avec lui. Mais chaque fois qu’il croisait son reflet dans l’eau claire du ruisseau, un petit pincement lui serrait le cœur.
Pourquoi n'était-il pas comme les autres ? Pourquoi ce violet dans sa fourrure ?

Un matin de fête, alors que l’air embaumait la noisette grillée, Théodore prit une décision. Il partirait. Non par tristesse mais par curiosité. Il voulait savoir si, quelque part dans le vaste monde, il existait d’autres lapins violets. D’autres êtres à la fourrure étrange, aux yeux pleins de questions et aux pattes légères.

Il fit un baluchon de feuilles de framboisier, y glissa quelques morceaux de pain aux carottes, une infusion séchée de fleurs de pissenlit et de menthe puis embrassa chacun des siens avant de s’engager dans le sentier de mousse clair.

Le voyage de Théodore fut long et parsemé de merveilles et de rencontres.
Dans la savane aux herbes hautes, il rencontra un chasseur flamand coiffé d'un chapeau de feutre fané dont les moustaches sentaient la cannelle et le cuir. Celui-ci préparait un thé au feu de bois, mêlé à des écorces de cacao sauvage. « Tu n’es pas de mon monde, petit » lui avait-il dit en soufflant sur sa tasse, « mais tu portes en toi la couleur des couchers de soleil de ces lieux magiques. C’est une rareté précieuse ».

Au creux des dunes ondulantes du désert, où le sable crissait sous les coussinets et la lune semblait dormir entre deux oasis, notre curieux lapin croisa la route d’un jeune explorateur qui dessinait des cartes à la plume. Il offrit à Théodore un thé infusé de menthes et de roses, adoucis par une goutte de miel doré. « Tu n’as pas besoin de ressembler aux autres pour savoir où aller » murmura-t-il. « Le monde a besoin de détours, de singularités. Une carte sans relief… quel ennui non ? ».

Sur les bords du Nil, où les branches des palmiers et les papyrus dansaient sous une légère brise, Théodore fit la rencontre d’une aventurière intrépide chaussée de bottes usées. Elle partageât avec lui un thé aux fleurs d’hibiscus et aux fruits sec de Méditerranée. En sirotant ce nectar à l’ombre d’un palmier, Théodore sentit son âme s'épanouir. « Ta couleur est peut-être ta boussole, ce qui te guidera vers ta destination, ton moteur en quelque sorte » dit-elle. « Suis-la et tu trouveras des merveilles ».

Enfin, au cœur d’une jungle touffue où l’air vibrait d’odeurs de banane, d’abricot et de mangue, Théodore découvrit une tribu de singes au pelage bleu. Ils bondissaient de liane en liane, préparaient des élixirs parfumés au thé vert et aux fruits. Ils accueillirent Théodore comme l’un des leurs, le couvrant de colliers de feuilles et de fleurs, l’honorant de chants de bienvenue.

Mais, au fond du cœur de Théodore un souvenir battait encore... Celui du terrier, des rires de ses frères, de la cuisine de Maman Lapin et des soirs à regarder les étoiles. Il était temps pour lui de rentrer.

Il n’avait pas croisé d’autres lapin violet mais cela n’avait plus grande importance. Il était de retour en ce jour de Pâques, date anniversaire de son grand départ, les pattes pleines d’histoires, les moustaches parfumées d’épices, les yeux grands d’avoir tant vu. Il offrit à sa famille les thés qu’il avait collectés, les recettes qu’on lui avait murmurées, les souvenirs de ses rencontres.

Ce jour-là, tous autour de la grande table d’écorce levèrent leurs tasses emplies de ces infusions nouvelles en l’honneur de Théodore, le petit lapin violet, celui qui était parti chercher des semblables et qui avait trouvé bien plus encore, le goût de la différence, l’amitié offerte et le plaisir simple du partage, dans l’herbe parfumé du printemps retrouvé.

Retour au blog