Les songes de van Goosens

Les songes de van Goosens

Les songes de van Goosens, première partie

 

À travers l'épais brouillard qui s'étendait, telle une toile d'araignée entre les arbres centenaires, avançait un fiacre noir à quatre chevaux puissants. Le grondement régulier de leurs sabots martelant le sol caillouteux semblait être la mélodie d'une symphonie obscure. Sur le siège du cocher, se tenait Lucius, majordome aux allures énigmatiques dans son habituelle queue-de-pie noire et grise qui flottait telle une ombre éthérée dans l'air humide de la forêt. Ses yeux bleu acier scrutaient les ténèbres avec une vigilance presque surnaturelle, comme s'il pouvait lire les secrets que les arbres murmuraient à voix basse.

 

van Goosens foretst - Les comptoirs Imaginaires

À l'intérieur du fiacre siglé des lettres d’or "C" et "I", deux hommes se tenaient face à face. L'un était un individu à la stature allongée, vêtu d'un costume gris taillé avec une précision impeccable. Ses cheveux châtain foncé encadraient un visage fin, dont les yeux marron brillaient d'une lueur d'intelligence. Il dégageait une aura de calme et de sagesse. Sa fine moustache ajoutait une touche de charme à son apparence et ses gestes étaient empreints d'une assurance tranquille.

L'autre homme, plus trapu, presque massif, avait une carrure qui évoquait celle d'un docker. Son complet anthracite contrastait avec sa prestance austère et son chapeau melon, légèrement enfoncé sur sa tête, ajoutait un voile de mystère à sa figure renfrognée. Sa barbe, du même brun que ses cheveux, encadraient son visage, et sa moustache, taillée en crocs de loup, soulignait son expression sévère. Ses yeux bruns, profonds et perçants, semblaient éclairés d'une lueur sombre dont on aurait cru pouvoir lire les âmes comme dans un livre ouvert.

Dans le fiacre, les murmures de la forêt semblaient s'amplifier, enveloppant les trois hommes dans un étau de mystère. L’homme à la fine moustache brisa enfin le silence, sa voix résonnant comme un écho des profondeurs de la forêt.

« Lucius, “F’’, nous approchons du manoir van Goosens. Il est temps d'aborder le sujet qui nous préoccupe et nous conduit ici ».

« En effet, Monsieur ‘’J’’. Otto Friedrich Gustav van Goosens, héritier de la lignée van Goosens, d’aucuns prétendent que ses racines s'entrelacent avec les couronnes de Prusse et de Bavière. Il est dit qu'un lien de parenté le lierait même à la reine Victoria par les Saxes Cobourg Gota. Une ascendance impressionnante, n'est-ce pas ? » Dit le majordome dont la voix, malgré sa place à l’extérieur de la cabine, semblait sans effort emplir celle-ci.

"J" hocha la tête, une lueur d'excitation dans ses yeux. « Mais il y a plus, Lucius. Les parents d'Otto étaient des membres influents de “la société”. Des explorateurs discrets, des gens d’action et de bienveillance à qui nous devons beaucoup ».

L’homme à la barbe grogna, « peu importe, il nous incombe de juger sa valeur sur ses actes, pas sur ceux de ses ancêtres ».

« Du calme ‘’F’’, repris ‘’J’’ face à lui, du calme. Nous ne pouvons nier l’apport des van Goosens à ‘’la société’’ ».

Lucius acquiesça. « Effectivement. Les van Goosens ont depuis toujours été liés aux activités de notre organisation. Du moins d’aussi loin que je puisse me souvenir. Leur histoire s'étend en notre sein comme une ombre, dissimulant des secrets dont peu ont connaissance et des services innombrables ».

"J" se pencha en avant, ses yeux brillant d'une détermination profonde. « C'est pourquoi nous devons aider Otto, le guider dans sa quête, quelle qu'elle puisse être. Il porte en lui le potentiel de la société, un potentiel qui pourrait changer le cours des événements ».

"F", quant à lui, parut plus réservé, ses sourcils se fronçant alors qu'il consultait un dossier soigneusement préparé sur ses genoux. « Nous ne devons pas oublier les abysses qui se cachent dans son histoire, les zones d'ombre qui pourraient compromettre nos intentions ».

« Tu fais référence à son passé militaire cher frère ?  » Demanda ’’J’’.

« À l’ensemble de sa vie si j’en crois le dossier », répondit sèchement ‘’F’’.

"J" soupira, une note de tristesse dans son regard. « Sa vie a été marquée par des épreuves, des conquêtes et des pertes. N'oublions pas qu'il s'est engagé dans l'armée, espérant que ses compétences linguistiques l'emmèneraient en Inde mais il fut envoyé en Afrique où ses actes héroïques se mêlèrent à des cas d'insubordination ».

« Mouais… Ses… « Prouesses »… en Afrique, où il est dit qu’il tenta de surpasser Quatermain mais fut toujours relégué au rang de second. Sa soif de gloire confine à l’obsession. Et aujourd’hui quoi ? Le voilà en quête d’un animal extraordinaire ? Une bête dont la réputation dépasserait les limites du possible et lui offrirait le titre de plus grand chasseur de l’Afrique ? Je regrette, mais je n’ai pas envie d’aider un nouveau capitaine Achab à traquer la baleine blanche ! Et surtout pas par pure vanité ».

Lucius, fidèle à son rôle de confident silencieux, laissa le récit se dérouler tout en maintenant les rênes fermement en main. Le fiacre continuait de progresser à travers l'obscurité ambiante qui semblait avaler cette forêt en dépit de l’heure matinale.

« Nous ne sommes pas vraiment dans le cas d’Achab », dit tristement "J", les yeux perdus dans de sombres souvenirs.

« Pas encore ‘’J’’, pas encore ; mais regarde où l’ont déjà amené sa soif de reconnaissance, d'honneur et de chasse… Droit vers un retour au manoir van Goosens où, malgré ses exploits, il est revenu, renvoyé de son armée, pour insubordination, l’esprit apparemment hanté par les ombres et les mystères de l’Afrique ».

‘’J’’ se tenait le menton, pensif. « Oui, c’est ce que semble indiquer nos rapports ».

Le silence s’installa entre les deux hommes. Le paysage de chênes et de pins aux troncs gris défilait devant les fenêtres, sinistre dans la pâle obscurité de ce matin de fin d’automne.

"J" finit par poser une main rassurante sur l'épaule de "F". « Notre rôle est de lui donner l'opportunité de prouver sa valeur, de marcher sur les traces de ses parents. Nous ne laisserons pas un membre de la société à la dérive. La société soutient les siens ».

Le véhicule continua sa route, traversant les ombres mouvantes de la forêt telle une embarcation naviguant sur les eaux troubles d'un océan mystérieux. ‘’F’’ resta silencieux, comme perdu dans de sombres pensées. Il savait que son frère avait raison, mais cela ne lui plaisait guère.

  

Forets sombre, encre - les Comptoirs Imaginaires

 

Le crépitement du feuillage et le chuchotement du vent semblaient former une musique de secrets murmurés à l'oreille du matin.

Finalement, Lucius brisa le silence, sa voix douce perçant l'air avec une sérénité énigmatique. « Monsieur “J”, Monsieur “F”, nous approchons de la demeure des van Goosens. Le manoir émerge des ténèbres, une sentinelle silencieuse de l'histoire qui s'est écoulée dans ses murs ».

« Ce diable de Lucius, toujours à en faire des tonnes », siffla “F” entre ses dents.

Les deux hommes dans le fiacre se redressèrent, leurs regards se tournant vers la silhouette imposante du manoir qui émergeait progressivement de l'obscurité. Les lueurs pâles de l'aube commençaient enfin à percer le ciel, révélant les contours majestueux de la résidence ancestrale.

 

 

 

Le manoir van Goosens s'élevait comme un spectre imposant au cœur de la forêt ténébreuse. Ses tourelles grimaçantes, couronnées de créneaux effilés, perçaient le ciel comme des doigts crochus. La brique rouge flamande se mêlait harmonieusement aux ornements gothiques, créant ainsi une façade à la fois majestueuse et mystérieuse. Les murs, constellés de gargouilles ciselées et de motifs en arabesque, semblaient raconter des récits oubliés d'une époque lointaine.

Le chemin pavé menant à l'entrée était bordé de statues en pierre sombre, figées dans des poses mélancoliques, témoins silencieux de la grandeur passée du manoir. Des piliers richement décorés soutenaient le porche où d'anciennes lanternes vacillantes projetaient des ombres inquiétantes sur le sol usé.

Le jardin, autrefois luxuriant et vibrant de couleurs, était, maintenant, un lieu de désolation. Les plates-bandes, jadis florissantes, étaient désormais envahies par la végétation sauvage, leurs fleurs fanées et pétrifiées dans le temps. Les arbres centenaires se dressaient comme de mornes tourelles, leurs branches nues s'étendant comme des bras implorants vers un ciel éternellement gris.

Le murmure du vent traversait le jardin, portant avec lui le frisson de l'abandon et du déclin. Pas un chant d'oiseau ne troublait le silence, seule la corneille noire et sinistre trouvait sa voix dans ce lieu désolé, sa voix rauque résonnant comme un avertissement funèbre.

À mesure qu’ils parcouraient les allées grises du jardin, après être descendus du fiacre, “J”, “F” et Lucius pouvaient presque sentir les échos des rires et des festivités qui avaient autrefois empli cet espace. Maintenant, seuls les souvenirs subsistaient, piégés dans le passé tandis que le présent était enveloppé dans un voile de silence et de mélancolie.

Le manoir van Goosens était un lieu où l'histoire et le mystère se mêlaient dans une danse sombre et envoûtante. Ses murs, chargés de secrets, semblaient appeler les visiteurs à percer les mystères qui se cachaient derrière ses portes closes, promettant des révélations troublantes et des découvertes qui pourraient changer à jamais le destin de ceux qui osaient s'aventurer dans ses ténèbres.

Lorsque les portes massives de la demeure s'ouvrirent, nos trois visiteurs pénétrèrent dans un hall vaste et lugubre. Les murs étaient ornés de tapisseries décolorées représentant des scènes de batailles épiques et de sombres légendes. Un lustre imposant en cristal suspendu au plafond voûté projeta des éclats de lumière sur le sol en marbre, créant des étincelles dansantes qui semblaient refléter l'âme tourmentée du manoir. 

Malgré le ravage des années, on pouvait encore distinguer des fresques murales représentant des scènes de chasse épiques et des paysages grandioses. Un tapis persan habillait le sol froid, étouffant le son des pas et ajoutant une note d'opulence à l'ensemble.

Au centre du hall se dressait une imposante sculpture en marbre représentant un lion rugissant, symbole de la puissance et de la noblesse de la lignée van Goosens. Les visiteurs pouvaient sentir le regard vigilant du majordome et garde du corps : Abhishek Singh, peser sur eux depuis l'escalier en colimaçon qui menait aux étages supérieurs. Son allure élégante en uniforme sikh ajoutait une touche d'exotisme colorée qui semblait détonner dans l'atmosphère sombre du manoir.

Les trophées de chasse, témoins silencieux des exploits du Baron van Goosens, ornaient l’espace. Des têtes d'animaux empaillées fixaient les visiteurs de leurs yeux de verre, figés pour l'éternité dans des expressions de vie sauvage. Des peaux de bêtes étaient soigneusement disposées sur les sols, créant une ambiance de récit d'aventures africaines inquiétantes et propices à enflammer l’imagination.

Le majordome Abhishek Singh descendit les escaliers avec grâce, sa démarche mesurée exprimant à la fois le respect et l'autorité. Sa barbe soigneusement entretenue et son turban en soie ajoutaient une note d’élégance à sa prestance. Il était l'ombre bienveillante qui veillait sur le manoir et sur le Baron van Goosens, élevant ce dernier depuis la tragédie qui avait frappé sa famille.

Singh, le majordome Sikh - Les Comptoirs imaginaires

 

« Bonjour chers visiteurs ». Son regard s’attarda un instant sur Lucius, le dévisageant comme s’il le connaissait, avec cette petite étincelle d’étonnement que déclenchait toujours ce dernier lorsqu’il croisait de vieilles connaissances étonnées de le retrouver inchangé. « C’est un plaisir de recevoir en ces lieux des membres de ‘’la société’’. Cela rappelle des temps bien lointains au vieil homme que je suis. Si vous voulez bien me suivre ».

Alors que les visiteurs avançaient à travers les corridors, les trophées d'animaux d'Afrique se mêlaient à ceux de la forêt avoisinante. Des têtes de lions majestueux côtoyaient des cerfs et des sangliers des terres locales, créant un tableau étrange où les mondes naturels se fondaient en une collection sombre et énigmatique.

‘’F’’ et ‘’J’’ ne purent s’empêcher de réprimer un frisson. Dans ce labyrinthe de couloirs sombres et étroits, où les ombres semblaient danser avec une vie propre, des portes richement sculptées s'ouvraient sur des chambres luxueuses, leurs meubles anciens témoignant des fastes d'autrefois.

Le majordome, d'une prestance impeccable, continuait de guider les visiteurs à travers les dédales du manoir. Ses pas résonnaient légèrement sur les sols de marbre, créant une symphonie silencieuse. Son regard perçant semblait anticiper chaque question avant qu'elle ne soit posée.

Ils atteignirent finalement une grande salle aux dimensions imposantes où les murs étaient ornés de panneaux en bois sculptés et de tableaux de chasse exquis. Un immense foyer crépitait doucement, diffusant une chaleur réconfortante dans la pièce. Des fauteuils richement rembourrés entouraient le feu, invitant les visiteurs à s'installer.

« Prenez un siège, je vous en prie », invita Abhishek Singh d'une voix douce et accueillante. « Le Baron van Goosens ne devrait pas tarder à vous rejoindre. Il est profondément honoré de recevoir des membres aussi distingués de ‘’la société’’ en ces lieux chargés d'histoires ».

Les visiteurs s'installèrent, pris dans l'atmosphère à la fois majestueuse et oppressante de la pièce. Les flammes du foyer semblaient danser avec mystère, révélant et cachant tour à tour les secrets qui étaient enfouis au sein du manoir.

Le majordome se retira avec une élégance feutrée, laissant les visiteurs seuls avec leurs pensées et le crépitement du feu. L'attente était teintée d'anticipation et de curiosité, chaque instant semblant peser de tout le poids du passé et de l'avenir qui se croisaient dans cet instant fugace.

Le manoir van Goosens, témoin silencieux de siècles d'histoires et de mystères, continuait de murmurer ses récits à ceux qui étaient prêts à les entendre. Les visiteurs se trouvaient maintenant au cœur de cette danse sombre et envoûtante, dans l'attente de ce que le destin leur réservait au sein de ces murs chargés d'intrigues.

 

le living room de van Goosens - Les comptoirs imaginaires

 

L'instant s'étirait doucement comme si le temps lui-même avait ralenti en harmonie avec l'atmosphère énigmatique du manoir. Soudain, le doux bruit d'un pas résonna dans le corridor, rompant le silence avec une autorité incontestable. Les visiteurs tournèrent instinctivement leurs regards vers la source du son.

L'entrée du Baron van Goosens se fit avec une présence saisissante. Ses pas étaient assurés, chaque mouvement dégageant une confiance absolue en sa propre personne. Ses épaules larges étaient encadrées par une longue cape de velours noir qui flottait derrière lui tel un manteau d'ombre. L'homme qui émergea des ténèbres était imposant, sa silhouette élégamment dessinée par son habit et ses bottes en cuir lustré.

Le Baron lui-même était grand et sec, sa posture droite et altière dégageant une aura de domination. Son visage était marqué par les années, mais c'était son regard qui attirait le plus l'attention. Ses yeux d'un bleu intense semblaient capturer chaque parcelle de lumière, créant des étincelles froides et calculatrices. Sous son nez, des moustaches soigneusement taillées prenaient la forme de crocs de loup, ajoutant une touche sauvage à son apparence raffinée.

Le Baron van Goosens semblait posséder une présence qui commandait l'attention, un homme qui était habitué à être le centre de son propre univers. Chacun de ses gestes était empreint d'une certaine grâce, une confiance innée en sa propre importance. Il avait le charisme d'un leader, mais il y avait quelque chose de profondément vaniteux et orgueilleux dans son regard comme s'il considérait chaque personne présente comme une audience captivée par son propre spectacle.

« Messieurs de ‘’la société’’, je vous souhaite la bienvenue au manoir van Goosens », déclara-t-il d'une voix profonde. Chacun de ses mots semblait porter le poids d'une assurance absolue, ceux d'un homme qui ne doutait jamais de lui-même.

Son regard se posa sur ‘’J’’ et ‘’F’’, une lueur d'appréciation mêlée de défi. « C'est un honneur de vous accueillir en ces lieux chargés de l'histoire de ma famille. J'espère que vous trouverez notre rencontre à la hauteur de vos attentes ».

Les visiteurs pouvaient sentir l'énergie électrique qui émanait du Baron, un mélange complexe d'arrogance, de détermination et de désir d'impressionner. Sa présence remplissait la pièce comme si le manoir lui-même se pliait devant sa volonté.

Le majordome Abhishek Singh se tenait à ses côtés, une expression de loyauté inébranlable dans les yeux. Il était clairement palpable que le Baron van Goosens était le maître de cet endroit, le dirigeant incontesté de ce domaine.

Le Baron invita les visiteurs à se lever et à se rapprocher. « Je suis impatient d'entendre ce que ‘’la société’’ attend de moi et de discuter des affaires qui nous ont réunis en ce jour ».

Si ‘’F’’ ne l’avait pas rattrapé par sa veste, ‘’J’’ aurait manqué de se lever sous l'effet du charisme magnétique du Baron. Mais le frère n’était pas du genre à se laisser impressionner, d’autant qu’il ne goûtait pas vraiment l’idée d’être là. Lucius quant à lui, en bon majordome, était resté debout, faisant face à Singh, un léger sourire aux lèvres.

 Alors qu'ils suivaient tous du regard le maître des lieux, ‘’F’’ rompit le silence qui s’était installé.

« ‘’La société’’ n’attend pas grand-chose de vous, Monsieur le Baron… à dire vrai, continua-t-il en serrant les dents, c’est plutôt vous qui avez à attendre de ‘‘la société’’ au vu des bons et loyaux services qu’elle a su par le passé recevoir de votre illustre famille… Comme votre courrier a… Humm … Avec grande élégance… Pu nous le rappeler. Je tiens d’ailleurs à vous féliciter, vous, ou votre dévoué majordome, d’avoir su trouver les voies par lesquelles nous faire parvenir ce pli ».

Lorsque "F” avait pris la parole, une tension presque palpable sembla s’être répandue dans la pièce, brisant momentanément l'harmonie apparente. Le Baron van Goosens, bien qu'habitué à recevoir des invités de marque, ne put dissimuler une lueur d'irritation passagère dans ses yeux perçants. Ses sourcils se froncèrent légèrement, trahissant un agacement subtil face à l'attitude directe et désinvolte de "F". Il retint néanmoins toute réaction visible, maîtrisant son expression avec une habileté acquise au fil des années.

Un fin sourire étira les lèvres du baron mais ce n'était pas un sourire chaleureux. C'était plutôt un sourire qui semblait dire : «Ah, vous osez». Il inclina légèrement la tête, décortiquant les paroles de "F" tout en conservant une apparence de calme policé.

« C'est bien vrai, Monsieur… ‘’F’’, n'est-ce pas ? » répondit le Baron d'une voix feutrée, teintée d'une pointe d'ironie subtile. « Votre rappel des contributions passées de ma famille envers ‘’la société’’ est tout à fait juste. Nous avons toujours été prêts à apporter notre soutien à des causes qui étaient en harmonie avec nos intérêts communs ».

Un léger mouvement du menton du Baron sembla indiquer une reconnaissance tacite envers Lucius pour avoir facilité la communication. Abhishek Singh, demeurant imperturbable à ses côtés, ne laissa transparaître aucun signe de réaction face aux remarques de "F".

Le Baron fit un pas en avant, ses yeux toujours rivés sur "F". « Cependant, permettez-moi de rappeler que la collaboration est un principe fondamental de toute relation fructueuse. Vous avez parlé de ce que je pourrais attendre de ‘’la société’’. Très bien. Et maintenant, si vous me le permettez, je vais vous l’expliquer ».

La fermeté de sa voix laissait peu de place à l'objection. Le baron ne laissait pas de doute quant à sa position de pouvoir et d'autorité dans cette conversation. Tout en gardant son calme apparent, il révéla son intention avec une précision tranchante.

« Ce que je demande, c'est l'aide et le financement pour une entreprise qui me tient particulièrement à cœur. Une expédition en Afrique. Une quête pour chasser une créature légendaire, connue sous différents noms tels que l'ours Nandi, Kerit, Chimit, Kikambungure, Duba ou encore Sabroukoo. Une bête dont la réputation dépasse les frontières du réel et dont la capture serait le sommet de mes exploits de chasse ».

Le Baron avait articulé chaque mot avec une assurance inébranlable. Sa voix résonnait dans la pièce, emplie de la conviction qu'il était en train de prononcer une requête qui était non seulement importante pour lui, mais qui faisait également écho au prestige et à la renommée de sa lignée.

Il fixa "F" du regard, un éclat de défi dans ses yeux bleus. « C'est là mon désir, messieurs. Une entreprise audacieuse qui pourrait être le couronnement de ma carrière de chasseur et qui, je n'en doute pas, apporterait une gloire indéniable à ma famille ainsi qu'à ‘’la société’’. Toutefois, comme tout effort de cette ampleur, cela nécessiterait des ressources adéquates ».

Il laissa un léger silence s'installer, le poids de ses mots imprégnant l'atmosphère. « J'attends donc de ‘’la société’’ qu'elle prenne en considération ma demande et qu'elle envisage favorablement de soutenir cette expédition. Après tout, nous avons toujours été liés par des intérêts communs, n'est-ce pas ? ».

Alors que le Baron Van Goosens avait exposé sa demande avec une assurance inébranlable, une tension perceptible flottait dans la pièce. Le regard de "J" passa brièvement de "F" au baron, comme s'il pesait les enjeux de cette situation délicate. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire teinté de compréhension et de respect pour les traditions et les liens familiaux qui s'étaient tissés au fil du temps.

Il se leva avec une grâce tranquille, faisant face au Baron van Goosens d'un air qui exprimait à la fois la réflexion et la bienveillance. « Monsieur le Baron », commença-t-il d'une voix posée. « Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour nous avoir ouvert les portes de votre demeure et pour avoir partagé avec nous vos aspirations. Les récits de votre famille et de ses contributions à ‘’la société’’ ont laissé une empreinte indélébile dans nos annales ».

Son regard sincère rencontra celui du Baron et une connexion silencieuse sembla se former entre eux, comme si "J" reconnaissait la lourde responsabilité qui pesait sur les épaules du baron en tant qu'héritier de cette lignée prestigieuse.

« Je comprends et respecte votre désir d'accomplir un acte mémorable, une quête qui honorerait non seulement votre propre nom, mais aussi celui de votre famille et de ‘’la société’’. Les liens qui nous unissent, tissés au fil des générations, sont empreints d'une confiance et d'un respect mutuel. Vous avez mon soutien inconditionnel pour votre quête et je crois que mes collègues de ‘’la société’’ partagent ce sentiment ».

"J" fit un léger geste en direction de "F", reconnaissant les divergences d'opinions qui pouvaient exister au sein de leur groupe. « Bien sûr, nous sommes une société de diverses perspectives et opinions, mais il est indéniable que notre désir commun est de préserver les valeurs et les idéaux qui nous unissent ».

Il marqua une pause, laissant ses paroles résonner dans l'air. « Je suis convaincu que ‘’la société’’ est disposée à fournir le soutien financier nécessaire à votre expédition en Afrique. Votre quête pour traquer l'ours Nandi et accomplir un acte digne des grandes légendes est une entreprise qui résonne avec notre histoire commune. Comprenez néanmoins que nous ne sommes simplement pas habitués à financer des chasses, voyez-vous ? Notre motivation, à l’image de celle de vos aïeux, est d’ordinaire plutôt tournée vers la découverte et la préservation des merveilles de la nature ou de l’imaginaire ».

Le Baron van Goosens écoutait attentivement, un calme apparent masquant le tourbillon de pensées qui se déroulait en lui. Son regard demeurait fixé sur "J", ses yeux bleus intenses capturant chaque nuance des paroles prononcées. Un léger plissement de ses sourcils marqua un instant de réflexion alors que les paroles de "J" semblaient pénétrer les couches superficielles de son orgueil. Puis, un sourire presque imperceptible étira les coins de ses lèvres, trahissant l'impact de ces mots.

« Je vous suis reconnaissant pour votre compréhension et votre soutien, Monsieur », répondit le Baron d'une voix contenue. « Vos paroles évoquent des valeurs qui ont perduré au fil des générations, des valeurs que ma famille a toujours chéries et respectées ».

Un silence enveloppa la pièce alors que le Baron et "J" se mesuraient du regard, une interaction silencieuse qui semblait transcender les mots. Puis, le Baron reprit la parole : « C’est une occasion unique, une créature mythique et la quête d’un chasseur hors pair. La gloire pour vous comme pour moi au bout du chemin ».

Le Baron se tut un instant, laissant ses paroles résonner. Son expression changea subtilement, une lueur d'exaspération éclairant ses yeux. « Cependant, je tiens à ce que les choses soient claires. Ma patience a des limites et je ne tolérerais pas de retards indus ou d'hésitations prolongées. L'ours Nandi ne se chasse pas avec des tergiversations. Si nous poursuivons cette entreprise, je m'attends à un engagement total et déterminé ».

Un frémissement d'impatience parcourut le Baron, trahissant le bouillonnement de son tempérament impétueux. Son regard scrutait chaque visage dans la pièce, transmettant la fermeté inébranlable de sa volonté. « Je vous invite donc à prendre le temps nécessaire pour discuter et délibérer. Mais soyez conscients que le temps ne fait que s'écouler et l'occasion doit être saisie avec détermination ». Il fit un signe à Singh qui, à sa suite, quitta la pièce, laissant ‘’J’’, ‘’F’’ et Lucius seuls.

Après ce qui sembla au maître des lieux une éternité, une décision fut prise.

Une fois sorti du manoir, ‘’F’’ laissa son regard se perdre sur le paysage désolé devant lui. « Je n’aime pas ce van Goosens, dit-il… et ses grands airs… se parer ainsi quand sa seule fortune en dehors de ce manoir, qui finira bientôt en ruine, ne tient qu’en son nom. Il est aux abois. J’espère que tu es sûr de toi ».

Le silence s’installa de nouveau entre les trois hommes.

 ‘’J’’ le brisa avec des paroles empreintes de gravité : « La décision est prise et les voiles du destin semblent s'être refermés sur cette quête. Nous avons, je l’espère, réussi à éveiller une lueur de réflexion dans l'esprit du Baron, une lueur qui pourrait éclairer le chemin vers une collaboration mutuellement bénéfique. L’Afrique le changera… »

«… Ou le tuera», finit amèrement ‘’F’’.

« Nous devons maintenant attendre et observer comment les forces invisibles du destin se déploieront » lui répondit ‘’J’’.

Lucius, toujours stoïque, ajouta d'une voix calme : « Le Baron Van Goosens est une âme complexe, pleine de contradictions. Sa quête pour l'ours Nandi est peut-être bien plus profonde qu'une simple chasse et je sens que les rouages de cette histoire sont en train de se mettre en marche ».

Alors que le trio se tenait là, le vent souffla doucement, portant avec lui le murmure des secrets et des promesses encore tenues sous silence. 

« En tout cas une chose est sûre, continua ‘’F’’, Otto Friedrich Gustav van Goosens va partir pour l’Afrique… avec notre aide ».

‘’J’’ soupira : « La société n’abandonne jamais les siens ».

 

 

 

Que va-t-il advenir de l'impétueux Baron van Goosens ? Pour vous assurez de ne pas manquer la suite de cette histoire, abonnez-vous à la Gazette des Explorateurs !

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